Un Fugitif chez Mamie


Voici bientôt une heure qu’Hargo la flèche rampe dans les hautes herbes. Ses genoux saignent et ses mains sont égratignées. Et puis cette foutue chaine...Arg ! Elle lui serre tellement le poignet. Il attrape un gros caillou acéré et frappe à plusieurs reprises de toutes ses forces. La chaine se brise enfin. Au loin, on entend encore le bruit des sirènes de police et les chiens aboyer. Accroupi, ses jambes engourdies tremblent et une sensation terrible longe le long de son dos. Cette souffrance ne l’empêche pourtant pas d’avancer car la police pourrait le rattraper rapidement. Il utilise ses dernières forces pour atteindre la fin du champ et pousse l’ultime rangée d’herbes.


Il aperçoit au loin une petite maisonnette en bois qui, malgré son piteux état, arrive encore à tenir debout. Cette bicoque vétuste est probablement là depuis des années. Devant lui, une vieille dame est accroupie sur ce qui semble être un potager. Les mains tremblantes, elle retire d’un coup sec les mauvaises herbes. Malgré son âge avancé, il distingue une certaine robustesse dans ses gestes. À une seule main, elle réussit à soulever une grosse pierre qui empiétait sur sa belle rangée de tomate et la lance au loin. Malgré sa force, ses gestes restent imprécis. Sa vue semble lui faire défaut et l’empêche d’accomplir des actions agiles. Hargo est stupéfié... Cette grand-mère doit avoir au moins 80 ans ! Mais ce n’est pas le moment de s’attarder sur elle car la police est toujours à ses trousses.


Le fugitif analyse rapidement les possibilités de fuite. Elles sont hélas très limitées. Il n’y a que des champs à perte de vue et c’est la seule maison qu’il a rencontré depuis sa fuite. En s’avançant un peu plus, il se rend compte que la fenêtre du rez-de-chaussée est ouverte.

Voilà sa solution ; se cacher dans la maison quelques heures le temps que la patrouille s’éloigne ! Il longe le long des barrières et tente de contourner discrètement la vieille dame pour rejoindre la maison. Il n’est qu’à quelques mètres de la fenêtre et tente d’enjamber la grande haie qui sépare l’allée principale du jardin. Sa petite taille ne l’aide pas, car à peine a-t-il levé la deuxième jambe qu’il bascule la tête en avant sur les ustensiles de jardinage.

Surprise par ce vacarme, la grand-mère se retourne et s’exclame :

- Rodolph, mon petit-fils, est-ce toi ?

Hargo relève la tête et la fixe. Son cœur bat si vite qu’il résonne dans ses oreilles. Néanmoins, il voit en cette question une opportunité à saisir. « cette vieille est myope ! » se dit-il soulagé.

- Hum, oui c’est bien moi. Dit-il en essayant de camoufler sa voix rauque rongée par ses 15 années de prison.

- Je suis contente que tu sois revenu, vient m’aider à rentrer les légumes, je t’ai concocté ton plat préféré. Ragout de sanglier et patate douce de mon potager.

Il s’approche d’elle et saisit d’une main le sac en toile et de l’autre main, le bras de la vieille femme. Son odeur est fidèle à son physique : Elle sent le vieux grenier renfermé. Il ferme les yeux un instant. Ça ne sent pas très bon, mais cette odeur le rassure. Ce parfum reflète la stabilité d’un foyer accueillant et protecteur.


Les voilà à l’intérieur. La maison est sombre. De vieilles nappes brodées sont disposées dans tout le salon tentant désespérément de camoufler l’usure des meubles. Des têtes de sanglier, de chevreuils et autres gibiers trônent sur les murs. La maison est étroite, encombrée par la multitude de bibelots qui investissent un peu partout les recoins des pièces. Hargo est interrompu dans ses pensées par l’odeur exquise qui s’échappe de la cuisine. Pendant que la petite mémère s’active en cuisine, le fugitif apprécie ce moment de répit et profite de la chaleur de cette maison. Il se souvient du temps où, lui aussi avait un foyer et une femme. Mais cela c’était bien avant son braquage qui a tourné au massacre de pauvres innocents. Il se laisse aller et s’installe sur le canapé, dégustant le mets délicieux.


Cette trêve s’interrompe net avec les aboiements qui retentissent dans les champs. Hargo, paniqué, jette l’assiette au sol et court vers la fenêtre. Il aperçoit au loin une dizaine d’hommes accompagnés de chiens.

C’est la police ! Elle arrive pour l’embarquer et le ramener au trou.


Que faire ? il transpire, fait les cent pas, puis se retourne vers la dame.

- Dis-moi... Grand-mère ? bredouille-t-il avec hésitation. Ma mémoire me fait défaut. Si je devais sortir de cette maison discrètement, quel endroit me conseillerais-tu d’utiliser. Y a-t-il une fenêtre ou une porte de sortie à l’arrière de la maison ?

Les yeux de la vieille dame s’écarquillent.

- Un endroit pour se cacher comme au bon vieux temps où tu jouais à cache-cache ?

- Oui oui ! dit-il avec espoir.

- Je te répondrai donc le sous-sol ! il y a une trappe qui permet de rejoindre le tunnel du moulin de notre champ. Tu y jouais étant petit.

Il saisit la vieille dame par le bras et l’emmène au sous-sol.

-Mais que fais-tu Rodolph ? dit-elle surprise par ce changement radical d’attitude.

Hargo ne répond s’arrête pas et continue de trainer la dame.


Une fois en bas, il les enferme à clé puis jette un coup d’œil à la pièce. L’endroit est étroit. Des armoires poussiéreuses remplies de vieux bocaux, d’ustensiles de cuisine et de coffres sont disposées face à la porte.

- Grand-mère, où est la trappe ? demande-t-il avec insistance et une pointe d’impatience. Elle le fixe quelques secondes puis se dirige vers une étagère et commence à tâtonner les objets pour s’orienter.

- Je vais récupérer la clef.

Elle contourne la dernière armoire puis saisit un fusil et le pointe sur Hargo. Celui-ci reste ébahit et tente de la calmer mais rien à faire, celle-ci est irraisonnable. La voilà qui hurle en gigotant son gros calibre devant la tête du fugitif apeuré.

- Alors, Sale petit sellera ! On fait moins le malin ? Tu croyais que tu pouvais me berner avec tes faux airs de gentil ? Je suis peut-être myope, mais j’ai encore toute ma tête. Tu n’es pas mon petit Rodolph !

-Grand-mère ! C’est bien moi ! Qu’est ce qui te prend voyons, baisse ton arme, dit le fugitif paniqué en tentant doucement de rejoindre la porte du rez-de-chaussée.

-Grand-mère ? Espèce de voyou ! Mon petit-fils m’appelle « Mamé ». Jamais il ne m’aurait appelé « grand-mère ». Dit-elle en riant, laissant apparaître les trois dernières dents qui lui reste. Ce nom c’est pour les vieilles peaux ! Tu as failli m’avoir vieux psychopathe.

Hargo ne peut la raisonner.

« Il faut s’enfuir au plus vite avant que la vielle pète un plomb et finisse par étaler ma cervelle dans la pièce ». Se dit-il. Il ne la laisse pas terminer sa phrase et court en direction des escaliers. À peine a-t-il réussi à atteindre la première marche que la Mamie tire dans tous les sens les yeux à moitiés fermées.

La pression des tires la fait gigoter dans tous les sens, comme si la pauvre dame se faisait électrocuter. Perdant l’équilibre, elle finit au sol.

C’est le silence total.

Le goût métallique du fusil est tellement fort que la vieille dame tousse. Les bocaux, les étagères... tout a explosé ! La Mamie se lève difficilement. Elle repose son arme sur l’étagère entre les débris et se dirige vers les escaliers pour regagner le rez-de-chaussée. Elle monte avec difficulté les escaliers en marmonnant :


Je n’en peux plus de ces bandits, c’est le 3eme ce mois-ci !

EYEDEL

31/10/2020

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