Judith And Paris


Judith est l’hippopotame le plus connu et adulé de CIRCUSPARIS.


Ses formes voluptueuses et son large sourire attirent Le Tout-Paris lors de ses représentations.

Judith danse et virevolte sur scène. C’est la star de la soirée. L’usure du temps commence à se faire sentir sur les petits lambeaux de tissus qui tombent le long de son tutu rose. Mais cela ne l’arrête pas. Bien au contraire, la voilà au centre de la foule. Un pas à gauche, deux pas à droite et Judith termine son spectacle avec sa danse favorite. Le public entier l’acclame : JUDITH JUDITH JUDITH !!!

Une fois le spectacle fini, tout le monde quitte le cirque. Ce fût encore une fois une soirée incroyable.


Judith aime danser tous les soirs. Seulement, depuis quelque temps, quelque chose a changé.

Lorsque la nuit tombe et que les lumières de la scène s’éteignent, son cœur se serre et la tristesse l’envahit. La voilà seule derrière ces larges barreaux gris.

Dans ses pensées, elle imagine à quoi ressemblerait le monde extérieur mais elle n’y arrive pas. Probablement car elle n’est jamais sortie du CircusParis.

Elle ne connaît ni Paris, ni le monde extérieur. À quoi ressemblent ces fameux restaurants flottant sur la Seine dont elle a tant entendu parler ? Comment est la Seine ? Est-ce vrai qu’une pyramide de verre trône dans une grande cour ? Judith se pose tellement de questions.

Son regard se porte sur cette vieille carte postale qu’elle a accrochée au-dessus de son lit.

On y reconnaît la rue Anatole France, la tour Effel scintille en arrière-plan.

Mais voilà donc ! s’écrit-elle en sautillant dans tous les sens.


C’est le déclic pour elle : cette autre femme réussit également à faire rêver tant de personne, elle scintille et danse toutes les nuits comme moi : c’est décidé ! Judith veut voir la dame de fer.

Son regard ne peut se détacher de la carte. Elle se sent si proche mais à la fois tellement loin de cette majestueuse tour.

Comme tous les soirs, le garde passe pour lui amener son repas. Il sort et laisse claquer le portail derrière lui. Du moins, c’est ce qu’il croit... Car le loquet reste ouvert. Judith réussi discrètement à saisir la poignée avant qu’elle ne se referme. C’est le début de l’aventure !

À peine le garde éloigné, Judith ouvre le portail, court et s’éloigne en direction de Paris centre.


La voilà dans les vieilles ruelles de Paris, bougeant son large popotin au son des bars parisiens qu’elle entend au travers des vieilles portes en bois… Du swing, du jazz et un peu d’accordéon. Judith se régale. Il commence à se faire tard et il n’y a plus grand monde dans les rues. Une soirée idéale ! Mais une seule idée lui taraude dans l’esprit : voir la Tour Eiffel. Une occasion comme celle-ci ne se représentera plus jamais. Elle regarde pendant quelques minutes ce plan de Paris à moitié déchiré sous cet abris bus et se lance dans son excursion nocturne.

Libre, elle se déhanche dans Paris. Elle se sent pousser des ailes.

Mais tout à coup, une voix qu’elle reconnaîtrait parmi des milliers vient briser cette précieuse balade.

‘’Elle est là’’! Crie un vieil homme.

C’est le garde ! Il l’a retrouvé !

Judith tente de s’enfuir. Elle court de plus en plus vite, se glisse dans une ruelle étroite, puis dans une autre. Elle jette un rapide coup d’œil derrière elle. Le garde est toujours là avec son grand lasso, prêt à la capturer. "Il court si vite ce vieillard". Se dit-elle en fonçant dans une rue sombre. Judith arrive près de la Seine. Le garde n’est plus seul. Elle est encerclée… Elle regarde autour d’elle. Il n’y a plus d’issue ! Tout espoir de s’enfuir s’évanouit. Elle ne verra jamais la belle dame de fer s’illuminer et danser dans le noir.

Non ! Cela ne peut pas se terminer ainsi. Judith regarde la Seine derrière elle. Le garde n’est plus qu’à un mètre d’elle.

"Jamais !" crie Judith en sautant dans le fleuve. Le fort courant l’emporte loin, si loin. Elle n’arrive pas à nager, elle n’y arrive plus. Ces années passées dans un cirque à faire le show sur scène l’ont éloigné de sa vraie nature. Après tout, un hippopotame est censé savoir nager ! Elle boit la tasse. Le fleuve la fait tourbillonner dans tous les sens, puis tout à coup, un premier battement de jambe. Un second battement de jambe ne se fait pas attendre, puis le popotin qui bouge, ça y est, elle y arrive enfin ! Elle nage !


Elle utilise ses dernières forces pour rejoindre la rive. Elle nage près des péniches décorées de roses et de loupiotes tamisées où quelques amoureux s’arrêtent de s’embrasser, ébahis par le passage inattendu de cet hippopotame.

Épuisée, elle sort de l’eau en marchant à l’aveuglette. Mais quelque chose l’éblouit. Une lumière qui scintille, une lumière étourdissante. Ses yeux remplis de vase l’empêche de voir correctement. Pourvu que ce ne soit pas ce garde prie-t-elle. Après quelques secondes à essayer de nettoyer ses yeux, elle reconnaît enfin cette lumière.

Cette silhouette pyramidale, fine et divine... la majestueuse dame de fer se tient debout sous ses yeux.

Dansant dans le clair-obscur de la nuit, des centaines de personnes la regarde faire son spectacle.

C’est la cacophonie autour d’elle. Les gens n’ont pas l’habitude de voir un aussi gros animal dans les rues de Paris.

Mais Judith ne le remarque pas ! Elle ne quitte pas des yeux la tour Effel. Quelle est belle…Quelle est grande…


Le garde est derrière elle.

"Il est temps de rentrer ma belle" dit-il essoufflé.

Judith n’en a que faire, car le temps d’une soirée, la belle Judith était libre, la belle Judith a vu Paris, la belle Judith a enfin vu la Tour Eiffel.



EYEDEL

01/10/2020

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